Juliette Chouette effraie des clochers (Tyto alba)

On l’appelle aussi « chouette effraie » ou « dame blanche ». Moi, je préfère « Juliette », qui est bien plus romantique que son nom de code « Tyto alba » ! Elle arrive au Centre Ornithologique de Réadaptation de Genthod le 25 juin 2019 et reçoit le numéro 869. C’est une petite boule de ouate d’un blanc immaculé. Déjà elle laisse entendre ce cri rauque qui lui a longtemps donné sa réputation sulfureuse : on lui accréditait toutes sortes de légendes, à cause de son apparence fantomatique, des ses cris et chuintements qui vous glacent les sangs, et de ses manifestations bruyantes dans les greniers. 

Juliette est un vrai glouton, qui a toujours faim et réclame ses repas de ses cris aigres et stridents. A tel point que l’on s’est parfois inquiété de son ventre tout rond, gonflé comme une baudruche.
Un beau jour, elle nous montre ses premières plumes, magnifiques, au bout de ses ailes, des plumes aux dessins roux et brun foncé bien marqués. Peu à peu, jour après jour, son corps se recouvre d’un plumage roux, gris cendré, brun, jaune or, avec des petites taches blanches auréolées de noir. Son ventre est complètement blanc, piqueté de perles brunes. Et son masque blanc, lui aussi, en forme de cœur bordé de brun, si particulier. Ses yeux sont d’un noir brillant. Quand elle nous regarde, elle bouge sa tête dans tous les sens pour essayer de donner plus de précision aux ombres et aux formes qu’elle perçoit.

Juliette est partie en volière le 1er août, le plumage encore couvert d’un fin duvet blanc. Elle a l’air si perdue dans son nouvel univers qu’elle marche dans nos pieds et semble vouloir nous implorer de ne pas la laisser seule ! Pour la tranquilliser, nous lui donnons son repas du soir, qu’elle nous arrache presque des mains. Elle cherche à le mettre en pièces, puis l’emporte dans son nid, où elle s’applique à le décortiquer et à le dévorer entièrement. Pour la rassurer avant sa première nuit dehors, nous déposons ses 2 doudous dans son nid. 
C’est avec beaucoup d’émotion – et de soulagement ! – que nous la retrouvons le lendemain. Elle s’est approprié son nouvel espace avec autorité et semble vraiment se plaire dans sa nouvelle demeure ! Nous allons le surveiller de près ces prochains jours et nous assurer qu’elle peut se nourrir seule. Ce n’est pas facile de résister à la tentation de lui faire un câlin ou de la caresser doucement, mais elle doit apprendre à ne pas dépendre de l’homme, à retrouver ses instincts et réflexes naturels et à prouver qu’elle peut très bien de débrouiller toute seule. Son avenir n’est pas ici, au COR, mais bel et bien dans la nature, où elle a une place importante et un rôle à jouer pour que la VIE se déroule dans le bon ordre des choses !
Juliette nous attend chaque jour devant la porte de sa volière. Elle a une façon tellement touchante de nous regarder, de pousser de tout petits gloussements, d’exprimer par son attitude, ses mouvements, ses cris, ses gestes, toute sa fragilité et sa vulnérabilité… Nous avons parfois l’impression qu’elle préférerait rester ici, bien à l’abri, nourrie, choyée, j’allais dire chouchoutée. Elle est si attachante que nous redoutons le jour où nous ouvrirons cette porte pour la dernière fois, pour la placer dans une caisse de transport et l’amener dans un endroit où elle retrouvera sa place au sein d’une nature pour laquelle elle est née, pour y tenir son rôle au milieu d’une faune trop souvent malmenée. Est-ce qu’elle aussi redoute ce moment ? Est-ce qu’elle craint de devoir affronter des conditions de vie qui seront certainement rudes, difficiles, de devoir chasser pour trouver sa nourriture, se battre contre des prédateurs impitoyables, de chercher un abri pour y être au chaud la mauvaise saison venue, de défendre sa progéniture à venir ? Ce qui est certain, c’est que nous mettrons tout en œuvre pour que son nouveau départ dans la vie soit une renaissance réussie et que nous  puissions lui garantir les meilleures conditions possibles pour une existence saine et sereine. Et tant pis si elle nous brise le cœur ! Juliette ! 

Merci de nous avoir permis de partager un peu de temps, d’émotions, de craintes, de joies et de rires ! Tu fais à jamais partir de notre vie ! 
Citation faites par les parrains.Martine & Daniel  

Réponse de Juliette – La vérité éclate !

« On m’appelle Juliette. Je porte le matricule 869. Je suis une effraie des clochers arrivée le 25 juin 2019, soit quelques jours après ma naissance, au Centre Ornithologique de Réadaptation de Genthod. Là, je reçois des soins attentionnés et de la nourriture, mais je dois rester dans une caisse jusqu’à ce que mon plumage me permette de voler.

Depuis le 1er août 2019, je me retrouve dans une volière, petite, mais plutôt confortable. J’ai un nichoir pour moi toute seule. La nourriture est correcte, les soigneurs gentils et plutôt sympas. 

Et puis, un beau matin, voilà que je dois céder ma volière à 4 congénères issues d’une même nichée, « les Dalton’s », comme les appelle les soigneurs du Centre. On me déplace alors dans une grande volière, très à mon goût. Je peux enfin me payer des vols d’essai un peu plus convaincants. Peu après, on installe chez moi un second nichoir, tout neuf, et on lâche les 4 collègues dans « ma » volière ! Inutile de dire que je m’empresse de déménager dans le nouveau nichoir pour les laisser investir mon ancien appartement ! Mais voilà que quelques jours plus tard, on m’enlève mon studio flambant neuf !… Il ne me reste alors plus qu’à demander l’hospitalité aux Dalton’s et à me faire accepter chez eux …

Aujourd’hui, des soigneurs sont venus nous poser des bagues d’identification. Ils nous ont pesés, et à la surprise générale, ils se sont – enfin ! – aperçu que JE SUIS UN GARÇON ! 

« Je suis un homme, je suis un homme, quoi de plus naturel, en somme » comme le chante Michel Polnareff. Il va falloir songer à me donner un nom qui corresponde à ma personnalité ! Ceci d’autant plus que mes congénères et colocataires, que tout le monde appelle « les Dalton’s » juste parce qu’ils sont 4, sont en fait … des filles ! Oui, vous avez bien lu, des FILLES !!! Et moi, « Juliette », le seul mâle dans ce nichoir ! Bon, je ne vais pas blâmer ceux qui me nourrissent depuis ma naissance et qui m’ont affublé de ce prénom ridicule, parce que j’avoue que rien de visible ne me différencie des femelles, hormis que je suis un peu … moins lourd qu’elles. Et bien, oui, chez nous, les rapaces, ce sont les mecs qui sont attentifs – mais quand même pas de façon obsessionnelle ! – à leur poids, tandis que les nanas, elles, n’en ont rien à faire de leurs bourrelets. 

Voilà ! Je tenais à rétablir toute la vérité au sujet de mon état civil afin d’éviter tout malentendu. Le printemps n’est plus très loin maintenant, et je vous raconterai la suite de mes aventures quand j’aurai retrouvé mes espaces naturels, ce qui ne devrait plus tarder, d’après certains bruits de volière… »

Le départ dans la vraie vie

Hier nous avons installé un nichoir dans la grange d’un centre équestre de la région. Et aujourd’hui, jeudi 16 avril 2020, en fin de journée, c’est le cœur battant que nous poussons une dernière fois le portail de la volière C1 qui a abrité nos 5 effraies des clochers durant tout l’hiver. Elles ne sont plus que deux, car nous avons relâché trois d’entre elles hier soir dans la campagne genevoise. 

Nous attrapons Juliette et la dernière des Dalton’s pour les mettre chacune dans une caisse, puis départ pour le site que nous leur avons préparé. En chemin, je décide de baptiser ironiquement « Roméo » la compagne de Juliette ! Ainsi, juste pour embêter Shakespeare et nous moquer gentiment de ses personnages, Juliette sera « lui » et Roméo sera « elle » !

Avec beaucoup de précautions, nous portons nos deux caisses et leur précieuse cargaison jusqu’à l’étage de la grange où sont stockés les rouleaux de foin. Ce n’est pas possible de décrire les sentiments qui nous envahissent lorsque nous saisissons délicatement Juliette et Roméo dans leur caisse de transport et les plaçons dans le nichoir fraîchement installé… Notre cœur bat très fort, les larmes sont au bord des yeux, et nous voyons défiler à toute vitesse des images qui nous avaient tellement émus depuis leur arrivée au Centre, tout petits bébés : 

leurs cris rauques réclamant la nourriture, leur appétit intarissable, leurs mimiques si drôles qui nous tiraient des éclats de rire, leurs façon de se tenir posées sur leur derrière en faisant ressortir leur ventre tout rose et tout rond, leurs postures incroyables quand parfois elles s’endormaient couchées sur le côtés, comme mortes, leur agitation et leurs cris à l’heure des repas, leurs premières plumes, leur mise en volière, avec encore des restes de duvet dans leur plumage,  et leur première nuit dehors, leur manière si touchante de se serrer les unes contre les autres dans leur nichoir, leurs masque immaculé, comme un cœur orné de deux yeux noirs et brillants qui nous fixent attentivement, leurs mouvements de tête dans tous les sens pour mieux nous examiner, …

Dans ma tête résonne le superbe duo de « Roméo et Juliette » que Charles Gounod a composé: « Ange adorable, 

Ma main coupable 

Profane, en l’osant toucher, 

La main divine 

Dont j’imagine 

Que nul n’a droit d’approcher !… » 

Sur la pointe des pieds, nous laissons là nos deux amoureux, avec le secret espoir qu’ils nous fassent de beaux et nombreux bébés ! Merci Juliette, merci Roméo, pour ces moments de grâce, pour nous avoir permis de vous accompagner depuis vos premiers jours jusqu’à maintenant. Puissiez-vous goûter aux joies de la Vie et de la Liberté, et que les anges du ciel veillent sur vous et vous protègent !

Citation faites par les parrains. Martine & Daniel


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